HARCELEMENT MORAL : ABUS DE POUVOIR DE L’EMPLOYEUR



Vous trouverez ci-dessous deux décisions de la Cour d’appel qui viennent rappeler qu’un employeur ne peut abuser impunément de son pouvoir de direction pour attenter à la dignité de ses salariés et leur imposer des conditions de travail dégradantes, ainsi que les commentaire de la C.F.T.C.



Dans la première espèce (C.A Metz, 30/01/01, SA Daewoo c/Bresson, RJS 11/01 n°1245), Mme Bresson, embauchée en 1994 en qualité d’assistance, avait subi une détérioration conséquente de ses conditions de travail à partir de 1995 : obligation de remplir un tableau quotidien détaillant ses activités quart d’heure par quart d’heure ; refus de l’employeur d’aménager ses tâches alors que les difficultés liées à son état de grossesse le nécessitait ; interdiction de quitter son bureau sans en consigner, au préalable, chaque sortie ; absence de fourniture de travail par l’employeur ; refus de l’employeur d’accorder le congé parental aux conditions qu’elle avait sollicitées en s’abstenant de l’en avertir avant la date de la reprise ; pressions pour pousser la salariée à démissionner ; refus de l’employeur de faire suite à la demande de mutation de la salariée malgré les recommandations du médecin du travail et la disponibilité de deux postes de secrétaires…

Il va sans dire que cette situation a eu des conséquences catastrophiques sur l’état de santé de Mme Bresson la conduisant, durant cette période, à de nombreux arrêts maladie et à un fort état dépressif.

La Cour estime que l’employeur "a délibérément soumis Mme Bresson à des obligations exclusivement appliquées à sa personne, non justifiées par les nécessités du service et ayant placé la salariée dans un état d'abaissement moral manifeste".

Dans cette décision, la Cour d'appel se fonde notamment sur le principe d'égalité de traitement et l'interdiction des discriminations ainsi que sur l'article L. 120-2 du code du travail selon lequel nul ne peut apporter de restrictions aux droits et libertés des salariés qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché…

Il va sans dire, au vu des éléments de preuve rapportés par la plaignante, que les agissements de l'employeur sont constitutifs d'une violation de l'article 1134 du Code civil selon lequel les contrats doivent être exécutés de bonne foi et que les tribunaux n'hésitent pas à sanctionner en l'absence de réglementation spécifique.



Dans la seconde espèce (C.A Grenoble, 30/04/01, SA Agence générale d'information c/Roux, RJS 11/01 n°1245), les juges font également application du principe de loyauté dans l'exécution des contrats posé par l'article 1134 du Code civil. Dans cette affaire, Mme Roux, qui occupait des fonctions de secrétaire et était décrite, selon les témoignages comme étant une employée modèle, avait subi une modification importante de ses conditions et de son contrat de travail à partir de 1982 : de nombreux témoins attestent qu'elle a progressivement occupé des tâches subalternes mal définies dans des conditions matérielles d'exécution de sa prestation de travail déplorables. Elle a en effet était contrainte de quitter son bureau pour occuper une table d'écolier placée au fond de la salle de réception sans machine à écrire ni téléphone avec pour tout tiroir un simple carton. Plusieurs témoins affirment également, à l'appui des prétentions de la plaignante, que Mme Roux a dû accomplir, à partir de 1992, un travail de manutentionnaire et d'agent de propreté plutôt qu'un travail de secrétaire.

Son état de santé s'en est gravement ressenti, le harcèlement dont la salariée a été victime ayant entraîné un état dépressif important (attestation médicale).

La Cour confirme en tout point le jugement de Conseil de prud'hommes qui avait prononcé la résolution judiciaire du contrat de travail de Mme Roux et alloue 370 000 francs de dommages et intérêts à cette dernière. Elle retient la mise en œuvre d'une politique discriminatoire par la direction à l'encontre de la salariée ainsi qu'une mise à l'écart de cette dernière en "l'assignant à des tâches subalternes dévalorisantes, et en l'installant de façon humiliante tant vis-à-vis de la clientèle que du reste du personnel" et mentionne les répercussions de ces agissements sur l'état de santé de la salariée. "La direction a multiplié les pressions morales pour obtenir son départ et la faire craquer". Elle conclut que "l'employeur a contrevenu aux règles les plus élémentaires du contrat de travail et a abusé de son pouvoir de direction".



Ces deux arrêts illustrent les conséquences dramatiques du harcèlement sur les salariés qui en sont victimes. L'action en justice des victimes intervient le plus souvent en dernier recours, des années après la mise en œuvre du processus de harcèlement. C'est pourquoi la réparation accordée par les tribunaux ne pourra effacer les séquelles des pressions psychologiques qui se sont exercées sur les victimes pendant plusieurs années.

L'action des instances représentatives du personnel est donc essentielle pour prévenir les agissements de harcèlement avant que les conséquences de ces comportements sur l'état de santé des salariés ne soient devenues irréparables. Les représentants du personnel 'les DP par l'entremise de leur droit d'alerte, le CHSCT dont l'une des missions est de contribuer à la protection de la santé, le DS qui peut proposer par exemple l'élaboration d'une charte, le CE…) doivent rappeler formellement au chef d'entreprise son obligation de protéger la santé des salariés (art L. 230-2 du code du travail).

Le fait que les litiges liés au harcèlement opposent seulement un salarié à son employeur ne doit pas faire oublier que l'organisation collective du travail toute entière est en cause. Le harcèlement moral constitue souvent une technique du management qu'il nous appartient de combattre. Nous devons donc réinvestir ce domaine et en faire un des enjeux de notre lutte syndicale.